Naissance d'une Démocrature
By : Hatem Mrad
Release date: Jan 2024
Santillana
Les réflexions politiques développées dans cet ouvrage sont des chroniques et des réflexions publiées entre 2020 et début 2023 dans Le Courrier de l’Atlas. Ces chroniques essayent de tracer la naissance de la démocrature, à partir des premiers indices parus postérieurement à l’élection du président tunisien en 2019, et jusqu’à l’intronisation de cette même démocrature au deuxième tour des élections législatives, en passant par le chaos parlementaire et les mésaventures gouvernementales de la transition. Elles tentent de réfléchir sur les soubresauts politiques qui ont conduit à ce phénomène, puis d’analyser le phénomène de la démocrature lui-même, en essayant d’en percevoir les caractères, les formes et les effets à la lumière des événements politiques, notamment jusqu’à la fin du mois d’août 2023.
La démocrature est perçue et dénommée différemment par les auteurs et les politologues. Est-elle une dérive démocratique ? Un assouplissement de la dictature ? Une tentative de conciliation équilibrée entre la démocratie et la dictature, en même temps qu’un éloignement et de l’une et de l’autre ? Elle est un concept utilisé en science politique pour désigner le caractère autoritaire d’un régime politique qui, par certains aspects (seulement), est pluraliste ou démocratique (le pluralisme, faut-il le rappeler, n’est pas la démocratie). Les auteurs dénomment indifféremment ce concept et cette pratique, « démocratie illibérale » (F. Zakaria, « The Rise of Illiberal Democracy », Foreign Affairs, 1977, nov-déc. ), « démocratie autoritaire » (L. Jaume, « L’idée de démocratie autoritaire : quelques réflexions », Jus Politicum, n°25 ), « pluralisme limité » ou surveillé (J. Linz, « An Authoritarian Regime : The Case of Spain », in E. Allard, Y. Littunn, Ideology and Party Systems, 1964), « démocrature » (M. Liniger-Goumaz, La démocrature : dictature camouflée, démocratie truquée, Paris, L’Harmattan, 1992), « régime hybride », si on se réfère à la Democracy Index qui classe annuellement les démocraties dans le monde (organisé par la Revue The Economist), ou même, si on peut remonter dans le temps et dans un autre contexte, « despotisme doux » (A. de Tocqueville, La démocratie en Amérique).
Personne ne peut envisager l’issue de cette démocrature tunisienne. Le président Saied suit certes une logique de « refondation », propre à lui, unilatérale, autoritaire, sans concession, sans dialogue.
Maintenant, il importe de savoir si la démocrature elle-même dont la destinée est souvent difficile à prévoir, évoluerait vers une dictature pure et simple ou vers une démocratie ou si elle resterait durablement une démocrature ?
L’interrogation est d’autant plus importante et légitime que les exemples de démocrature qu'on connaît jusque-là, du passé ou du présent, de type turc, russe, vénézuélien, marocain, algérien, égyptien, sont inquiétants et n’invitent guère à l’optimiste. Ils ont tous fait mine d’instaurer une sorte de démocratie populaire, souveraine, au profit de tous, proche des humbles, ils n’en ont pas moins instauré et maintenu, tous, la démocrature. La plupart des démocratures ont été déroutées d'autorité, à la faveur du pouvoir d'un seul, comme Poutine en Russie, ou Erdogan en Turquie, ou Al-Sissi en Egypte vers une dictature authentique, aussi brutale qu'intolérante.